Le Tadjikistan a inauguré ce mois-ci le plus haut barrage du monde. Haut de 335 mètres, le Barrage de Rogoun au sud du pays va fournir l’équivalent de trois réacteurs nucléaires, pour remédier au déficit chronique d’alimentation en électricité du pays.
Le Barrage de Rogoun n’est pas le seul projet hydroélectrique en cours. En effet, les barrages électriques ont le vent en poupe depuis plusieurs années ; ainsi, le Québec achève la construction de ses derniers barrages sur la rivière Romaine au nord du Saint-Laurent. Le nouveau gouvernement québécois compte bien devenir le premier fournisseur d’énergie propre au Canada mais également dans les Etats américains voisins. La province francophone dispose déjà d’un surplus énergétique avant même la fin de la construction des quatre barrages de la Romaine.
Albanie, Cameroun, Slovénie, les barrages hydroélectriques se multiplient autour du globe. Un tel engouement s’explique aisément : pas de déchets, pas de gaz à effet de serre, seule forme d’électricité stockable à grande échelle, développement en zone de loisirs et stimulation de l’activité économique locale, les barrages hydroélectriques comportent de nombreux avantages à la fois environnementaux et économiques : une solution idéale pour répondre aux problématiques actuelles.
En France, le parc des barrages se subdivise en trois classes : A, B et C, réparties en fonction de leur hauteur et du volume d’eau qu’ils contiennent. Généralement les barrages de plus de 20 mètres de hauteur sont rangés dans la classe A, les barrages entre 10 et 20 mètres dans la classe B et les barrages entre 5 et 10 mètres dans la classe C ; les barrages inférieurs à 5 mètres n’étant pas classifiés. Sur 2 500 ouvrages d’art, 600 d’entre eux sont des barrages de classe A et B et grâce à ses nombreuses installations, la France se place au 3e rang européen des producteurs hydroélectriques, juste derrière la Norvège et la Suède. En effet, sa production représente 12 à 14 % de la production d’électricité totale en France et demeure la première source d’électricité renouvelable du pays, une source d’énergie non négligeable pour notre pays et pour l’Union européenne.
Pourtant, l’exploitation des centres hydroélectriques n’est pas sans risque. L’exemple de la rupture du barrage de Malpasset dans le Var est le plus représentatif des dangers qui peuvent survenir lors de l’exploitation de ces ouvrages d’art. En 1959, après une période particulièrement intense de précipitations, le barrage cède et libère une déferlante d’une cinquantaine de millions de mètres cubes d’eau et aboutit à 423 morts. Considérée comme l’une des plus grandes catastrophes civiles françaises du XXe siècle, elle souligne l’importance de contrôles réguliers et exigeants dans ce type de construction.
Et si les barrages sont depuis toujours monopole d’Etat, exploités à 85 % par EDF et à 15 % par Engie (via la CNR et la Shem), la gestion de certaines concessions du parc va désormais être ouverte à la concurrence. En effet, à l’instigation de Bruxelles, près de 150 barrages seront privatisés dans les prochaines années, leur contrat de gestion arrivant à échéance en 2023. La fragmentation du réseau expose néanmoins, avec la multiplication des intervenants, à un risque de désoptimisation de ces centres de production hydraulique. La prévention et le contrôle des barrages doit pourtant rester une priorité et bénéficier d’une réglementation régulièrement mise à jour.
Depuis une dizaine d’années, l’arrêté du 29 février 2008 et les instructions d’exploitation des ouvrages d’art encadrent la sécurité sur les barrages. Ils font suite à la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques qui a fixé les responsabilités respectives des propriétaires, exploitants et concessionnaires de barrages. Ces responsabilités ont été précisées par le décret du 12 mai 2015 pour les barrages relevant de la loi sur l’eau et par le décret du 27 avril 2016 pour les barrages concédés. Depuis 2008, chaque barrage de classe A ou B doit détenir une étude de dangers (EDD) qui constitue la « fiche de sécurité » de l’ouvrage. Le propriétaire ou l’exploitant, ou le concessionnaire, si l’ouvrage relève du régime de la concession, doit la mettre à jour tous les 10 ans si le barrage est de classe A ou tous les 15 ans s’il est de classe B, après avoir analysé tous les risques théoriques possibles et les moyens d’y faire face.
Mais depuis cet été, cette ancienne réglementation a été remplacée par deux arrêtés qui viennent renforcer la sécurité des barrages en amont, lors de la construction et pendant l’exploitation :
Arrêté du 6 août 2018 publié au JORF du 29 août 2018 qui rénove les prescriptions applicables à la sécurité des barrages de classe A, B et C soumis aux dispositions du code de l’environnement, qui remontaient à dix ans.
Prescriptions applicables aux ouvrages existants
> Barrages de classes A et B
Ces barrages doivent être conformes aux exigences suivantes :
- dans les conditions normales d’exploitation : maîtrise des risques liés au fonctionnement de l’ouvrage, incluant les contraintes pouvant s’exercer naturellement sur l’ouvrage ;
- en cas d’événement naturel exceptionnel : conservation de tous les organes de sécurité de l’ouvrage en cas de crue alimentant la retenue ou en cas de séisme ;
- en cas d’incident exceptionnel impactant le fonctionnement de l’ouvrage : absence de libération incontrôlée et dangereuse de l’eau contenue dans la retenue;
- respect des prescriptions techniques de l’annexe I. L’exploitant doit justifier du respect de ces exigences et prescriptions dans le cadre de l’étude de dangers.
> Barrages de classe C
Leurs exploitants doivent respecter :
- les exigences essentielles de sécurité prévues pour les ouvrages existants de classes A et B ;
- les prescriptions techniques de l’annexe I applicables seulement en cas de reconstruction ou de réhabilitation à la suite d’une décision du préfet.
Prescriptions applicables aux nouveaux ouvrages et aux reconstructions d’ouvrages existants
Tous les barrages de classe A à C créés à compter du 30 août 2018 ainsi que les reconstructions de barrages existants de classe A et B doivent être conformes :
- aux exigences de sécurité prévues pour les ouvrages existants de classes A et B ;
- aux prescriptions techniques des annexes I et II.
La conformité de ces ouvrages aux exigences de sécurité et prescriptions techniques est établie par les justificatifs techniques du dossier de demande d’autorisation environnementale ou le dossier d’approbation de la concession, ainsi que par des documents complémentaires transmis au préfet. Par la suite, cette conformité est attestée par l’étude de dangers actualisée ou l’étude complémentaire ou nouvelle demandée par le préfet.
L’arrêté du 3 septembre 2018 publié au JORF du 5 septembre sur la rénovation du plan d’étude de danger des barrages. Il redéfinit le plan de l’étude de danger des barrages et en précise le contenu en apportant des modifications à l’arrêté du 12 juin 2008.
Barrage ou digue ?
S’agissant des barrages, l’arrêté du 12 juin 2008 définissait le plan de l’étude de dangers des barrages et des digues et en précisait le contenu. Le nouvel arrêté du 3 septembre 2018 modifie cet arrêté pour ne le rendre applicable qu’aux seuls barrages. En ce qui concerne les digues et les systèmes d’endiguement, c’est l’arrêté du 7 avril 2017 qui a précisé le contenu de l’étude de danger.
Redéfinition du plan de l’étude de danger des barrages et de leur contenu
L’arrêté introduit deux nouveautés :
Il prévoit un contenu et une mise à jour de l’étude de danger adaptés à la complexité de l’ouvrage et à l’importance des enjeux pour la sécurité des personnes et des biens. L’exigence de proportionnalité est également fonction de la nature de l’obligation réglementaire applicable :
- nouveau barrage à construire : étude jointe au dossier de demande d’autorisation ou d’approbation de concession ;
- travaux sur barrage existant : étude actualisée jointe au dossier de nouvelle autorisation ou approbation de concession ;
- actualisation périodique tous les 10 ans pour les barrages de classe A, tous les 15 ans pour les barrages de classe B.
L’arrêté rend également obligatoire, pour tous les barrages, un diagnostic exhaustif de l’état du barrage. Ce diagnostic est une des pièces de l’étude de danger. Il doit être réalisé moins de deux ans avant la date de dépôt des dossiers d’autorisation ou d’approbation de concession ou avant l’échéance à laquelle l’étude de dangers actualisée est transmise au préfet. Par exception, le préfet peut accepter une durée de validité plus longue que 2 ans de tout ou partie d’un diagnostic aux deux conditions cumulatives suivantes :
- impossibilité de procéder à l’intégralité des vérifications et investigations nécessaires dans un délai inférieur à 2 ans,
- ancienneté supérieure à 2 ans des vérifications ou investigations concernées ne remettant pas en cause leur validité dans le cadre de l’étude de dangers.
Par ailleurs, l’annexe de l’arrêté sur le plan et le contenu de l’étude de dangers d’un barrage est remplacée par une nouvelle qui détaille les onze pièces devant y figurer (résumé non technique ; renseignements administratifs ; objet de l’étude ; analyse fonctionnelle de l’ouvrage et de son environnement ; politique de prévention des accidents majeurs et système de gestion de la sécurité ; diagnostic exhaustif de l’état du barrage et bilan de conception, de comportement et d’état des ouvrages ; caractérisation des aléas naturels ; étude accidentologie et retour d’expérience ; identification et caractérisation des risques en termes de probabilité d’occurrence, d’intensité et de cinétique des effets et de gravité des conséquences ; étude de réduction des risques ; cartographie).
Ces deux arrêtés fixent désormais les prescriptions techniques de conception, de construction et d’exploitation des barrages en vue d’assurer leur sécurité. Ces exigences concernent les conditions normales d’utilisation, mais aussi les cas d’événement naturel exceptionnel (crue, séisme) et d’incident exceptionnel pouvant impacter leur bon fonctionnement. La sécurité et l’optimisation des conditions d’exploitation des barrages hydroélectriques demeurent ainsi une priorité nationale pour exploiter au mieux cette source d’énergie renouvelable et assurer la transition écologique du pays.