L’histoire de l’industrialisation est aussi celle des accidents qui l’accompagnent. Plusieurs catastrophes industrielles en France et dans le monde ont permis de susciter des prises de conscience de la société et certaines lois sont venues se constituer en réponse des pouvoirs publics face aux risques. Quels sont les évènements fondateurs de la prévention et de la culture du risque telle que nous la connaissons aujourd’hui ?
Nous vous proposons de retracer les principaux incidents industriels et de mettre en lumière les réponses sociales, légales et judiciaires qui leur ont été données.

L’explosion de la poudrerie de Grenelle (Paris, 1794)
L’explosion de la poudrerie de Grenelle est un des premiers accidents industriels connus mais reste un des plus meurtriers en France à ce jour.
Cette poudrerie, qui a pris la place du château de Grenelle (aujourd’hui la place Dupleix) rassemblait environ deux mille ouvriers fabriquant de la poudre noire – dite poudre d’artillerie. Le 31 août 1794, le magasin d’entreposage explose. Cette catastrophe conduisit à la mort 550 personnes et en blessa environ un millier. La plupart des bâtiments alentours furent entièrement détruits. La poudrerie ne fût désaffectée définitivement qu’en 1820.
Le processus d’enquête, confié à des savants, les secours, les soins et les indemnisations ont constitué une réponse publique inédite en se substituant aux bonnes œuvres, à la police et à l’entraide ouvrière. Chaque cas d’indemnisation a fait l’objet d’une étude particulière selon des critères objectivables : le droit à l’assistance remplace désormais la charité.
Cette catastrophe édicta le décret sur les établissements insalubres et dangereux, fondement de la législation moderne sur les sites classés et les risques technologiques.
La catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais, 1906)
Le 10 mars 1906, une explosion due à un coup de grisou –le grisou est un gaz naturel issu du charbon– se déclenche dans un puit de la compagnie des mines de Courrières. S’ensuit un coup de poussier, les poussières s’enflamment, et l’incendie provoqué par l’explosion gagne 110 km de galeries en quelques secondes. Le bilan est catastrophique et compte 1099 victimes, mortes par asphyxie ou brulées. Le 30 mars, 13 rescapés furent remontés ainsi qu’un dernier survivant le 4 avril. L’explosion de la mine de Courrière reste la plus importante catastrophe minière d’Europe.
La Compagnie fut accusée d’avoir poursuivi l’extraction de la houille après la découverte d’un feu non maîtrisé trois jours auparavant, préférant murer la galerie et refusant d’inonder la veine pour éteindre le feu.
L’enquête n’aboutit pas et la gestion de crise fut extrêmement critiquée, en particulier la décision d’arrêter les recherches de rescapés 3 jours seulement après l’explosion. Ces contestations donnèrent lieu à une grève générale ainsi qu’à des manifestations.
Au mouvement social qui suivit, nous devons l’instauration du jour de repos hebdomadaire obligatoire et la mise en place des premiers textes relatifs à la protection des salariés.
La catastrophe permit la mise en place de sessions de formation ainsi que la création du premier poste central de secours de la région. Les lampes à feu furent également interdites au profit des lampes Davy, dites lampes de sureté.
L’explosion de la raffinerie de Feyzin (Rhône, 1966)
Le 4 janvier 1966, la raffinerie de Feyzin, qui se situe au sud de Lyon, explose. Au total, 18 personnes sont tuées dont 11 pompiers et l’on comptera 84 blessés. Ce lourd bilan donnera à cet évènement le titre de première catastrophe industrielle moderne.
L’exploitation produit et stocke des hydrocarbures gazeux et des liquides inflammables (essences, gazoles, fiouls, solvants etc.).
L’incident a commencé par une fuite de gaz propane due au blocage d’une vanne en position ouverte sur une sphère de stockage qui a provoqué la formation d’une nappe de propane qui s’est ensuite propagée jusqu’à l’autoroute.
L’accès à l’A7 est alors fermé à la circulation mais un conducteur, salarié du site, n’apercevant pas les barrages, entre en contact avec une poche de gaz et déclenche l’incendie. Ce départ de feu provoquera l’explosion en chaîne de plusieurs réservoirs malgré les efforts des pompiers pour tenter de maîtriser l’incendie et de refroidir la sphère de stockage. Il faudra 3 jours aux pompiers pour venir à bout du sinistre. Le souffle de l’explosion se fera ressentir jusqu’à Vienne et 1 475 habitations seront touchées.
C’est le premier effet BLEVE (Boiling liquid expanding vapor explosion) recensé : phénomène de vaporisation violente suite à une mise à l'atmosphère instantanée d'un liquide surchauffé.
Attribué à des insuffisances en termes de conception des réservoirs, de sécurité et d’organisation des secours, cette catastrophe a mis en avant les risques d’explosion pour les raffineries et des industries pétrochimiques.
Cet accident a entraîné une réforme et à un durcissement de la réglementation applicable aux installations pétrolières1.
En découlent notamment un nouveau classement des produits hydrocarbures, un changement des règles d’implantation d’exploitation, de nouvelles règles de stockage, un renforcement de la prévention et la création d’un plan d’organisation des opérations de lutte contre l’incendie et des secours pour les exploitations.
L’explosion de l’usine chimique de Flixborough (Royaume-Uni, North Lincolnshire,1974)
L’usine chimique de Flixborough était spécialisée dans la transformation de cyclohexane et la fabrication de caprolactame, matière de base pour la création de Nylon. Le 1er juin 1974, l’usine explose.
Dès mars, une fuite de cyclohexane avait été repérée sur un des réacteurs. Pour en réparer la fêlure sans toutefois stopper la production, un by-pass fut mis en place afin de relier les réacteurs voisins. Sans ingénierie ni encadrement satisfaisants, une conduite est installée sans aucune étude ni test avant le redémarrage de l’unité.
Le samedi 1er juin, plusieurs fuites de cyclohexane forcent l’arrêt et le redémarrage successifs de l’unité.
En fin d’après-midi, un nuage de cyclohexane explose. La déflagration rase entièrement le site et provoque plusieurs incendies avec des flammes allant jusqu’à 100 m de haut.
Les défaillances de fonctionnement du site sont en partie responsables de la catastrophe : un poste vacant de responsable d’entretien, un stockage de produit dangereux sous-dimensionné ainsi que d’importantes difficultés économiques.
Le décès des 19 employés qui se trouvaient dans la salle de contrôle a montré l’importance d’une structure séparant les locaux occupés des unités à risque et d’un stockage limitant la présence de matières dangereuses sur site.
L’incident apporta également des enseignements en termes de maintenance : celle-ci doit être préventive et planifiée et les modifications des installations dangereuses doivent faire l’objet d’un contrôle de construction et prendre en compte l’intégralité des unités concernées.
En Angleterre cet accident donnera naissance à la réglementation « Notification of Installations Handling Hazardous Substances Regulations ».
Le projet de loi « Heath and Safety at work » adopté à la fin de l’année 1974, rendit les chefs d’entreprise responsables des mesures visant à assurer la sécurité et la santé des personnes.
Cet incident fut suivi de celui de SEVESO, tous deux contribuèrent à une prise de conscience européenne concernant le devoir de contrôle des pouvoirs publics sur les sites industriels présentant des risques technologiques majeurs.
L’accident de l’usine chimique de Seveso (Italie, Lombardie, 1976)
SEVESO évoque la réglementation européenne du même nom ainsi que les installations classées à risque. Il s’agit également d’une ville de Lombardie proche de l’usine chimique d’Icmesa de Meda, propriété d’un groupe pharmaceutique, qui provoqua, le 10 juillet 1976, l’une des plus importantes catastrophes sanitaires et écologiques de l’époque.
C’est l’échauffement anormal d’un réacteur qui conduisit à une ouverture des évents de secours, provoquant la mise à l’atmosphère d’effluents, dont une dioxine extrêmement toxique (2,3,7,8 TCDD : 2,3,7,8 tetrachlorodibenzodioxine). Cette formation, visible, se déplaça en premier lieu vers Seveso, commune de 17 000 habitants et toucha finalement 7 communes.
La quantité de dioxine rejetée est évaluée de 0,2 à 40 kg. Sans morts directs, 40 000 personnes –ainsi qu’un grand nombre d’animaux –furent cependant intoxiqués. En milieu agricole, la contamination toucha quelques 2 000 hectares.
La population fut évacuée, les animaux d’élevages abattus et les bâtiments pollués détruits.
Dans l’immédiat, cette substance cancérigène provoqua des inflammations graves de la peau sur 450 personnes, en majorité des enfants.
Quatre condamnations pour omission des mesures de sécurité et de catastrophe par imprudence seront prononcées contre les membres de la direction. Le groupe propriétaire de l’usine aura attendu 10 jours avant d’admettre publiquement la présence de dioxine hors de l’exploitation et d’en reconnaître sa toxicité.
Un document officiel international sur la prévention des accidents industriels majeurs est écrit, la directive européenne Seveso du 24 juin 1982 (Seveso I) est adoptée.
Le sujet vous intéresse ?
L’incendie de Lubrizol en septembre 2019 est un exemple parlant de réponse des pouvoirs publics suite à une catastrophe industrielle. Depuis, les sites classés ICPE et SEVESO ont vu leur cadre juridique largement remanié.Afin de comprendre la nouvelle réglementation, DEKRA met à disposition son expertise et accompagne la prévention du risque de votre exploitation à travers une série de webinaires.
Pour aller plus loin et découvrir nos services consultez notre article sur l’Après Lubrizol.
1 Par arrêté ministériel de septembre 1967 (modifié ensuite en 1973 et 1975)
N. Margossian, (2006) « Risques et accidents industriels majeurs », L’Usine Nouvelle, Série environnement et sécurité, Dunod http://livre2.com/LIVREF/F21/F021006.pdf
C. Barillé, T. Le Roux, M. Thébaud-Sorger, (2014), « Grenelle 1794 : secourir, indemniser et soigner les victimes d’une catastrophe industrielle à l’heure révolutionnaire », Le mouvement social, N°249, pages 41 à 71 https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2014-4-page-41.htm
Canopé Ile de France, « La catastrophe de Courrières - Vingt jours au fond de la mine » (portfolio), Réseau Canope www.risquesetsavoirs.fr,http://www.reseaucanope.fr/risquesetsavoirs/IMG/pdf/PortFolio_RS1_La_catastrophe_de_Courrieres.pdf
J. Vincent (2019) « À Feyzin, comment la catastrophe a-t-elle pu arriver? » Par envoyé spécial, Ouest France, 6 janvier 1966, La revue foncière, Il était une fois le foncier, N°27
https://www.revue-fonciere.com/RF27/RF27_retro.pdf
Ministère chargé de l’environnement, (2006), « BLEVE dans un dépôt de GPL en raffinerie, Le 4 janvier 1966, Feyzin (69) » – France, Aria, fiche détaillée, C19.20 - Raffinage du pétrole,
https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/wp-content/files_mf/A1_ips00001_002.pdf
Ministère chargé de l’environement - DPPR / SEI / BARPI, (2008), « Explosion catastrophique d'un nuage de cyclohexane, Le 1er juin 1974, Flixborough, Royaume-Uni », Aria, fiche détaillée N°5611 https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/wp-content/files_mf/A5611_ips05611_001.pdf
Ministère chargé de l’environement - DPPR / SEI / BARPI, (2008), « L'accident de Seveso : rejet à l'atmosphère de dioxines dans une usine chimique, Le 10 juillet 1976, Meda – [Lombardie], Italie », Aria, fiche détaillée N°5620